Angélique Lecaille, exposition
à la galerie Mélanie Rio.
« Ecoute dans le vent,
les buissons en sanglots »
Une
tectite, c'est un fragment qui se forme lorsqu'un débris de roche en fusion
émanant d'un cratère de météorite se solidifie, elle obtient alors cette forme
de gouttes appelées aussi les « larmes de la terre ». Angélique est
une joueuse de matière, rend le mou minéral et peint avec le feu. Les
explosions, ou plutôt ce qu'il en reste, donnent aux dessins obscurs de
Lecaille une minéralité détonante, presque palpable. Le chiffon, la mine de
plomb et la gomme donnent au grès, à la roche en fusion et à la glace une
géométrie linéaire qui semble être dictée par la terre elle-même. Elle
concentre les essences terrestres et les forces primales dans la nature même
des matériaux avec lesquels elle esquisse ses paysages. C'est lorsque la
Montagne sainte victoire se mélange aux effluves et aux miasmes colériques du
Vésuve, et qu'une cascade dont on ne saurait préciser si elle se compose de feu
ou de glace verse son flot d'énergie tellurique pure, et cristallise le
paysage, comme si l'énergie éthérée qui émane d'elle était la matière même de
la montagne environnante. Un choc thermique tout de géométrie, dans le noir et
le blanc. Le bois calciné devient l'enduit du feu, et sa forme sans tâche
semble taillée du savoir faire de la race révolue des terrestres, comme
ressuscités par l’artiste, qui redonne un sens aux mythes oubliés et tribaux
d'un peuple sculpteur de roches et bâtisseur de la terre. Ce sont les strates
liquides qui de siècles en siècles reviennent inonder la terre de roches en
fusion, et lorsque le sang tellurique coule, que le grès liquide se repaît des
restes humains, les objets pétrifiés prennent des airs de nouveau Pompéi.
Angélique insuffle dans le volatile la lourdeur du béton, revenant à une déité
des forces de la terre, explorant la nature divine de la matière matrice, de
Gaïa la génitrice. Elle revient au mysticisme de la création terrestre primale
et met en résonance la fossilisation d'artefacts contemporains comme autant
d'objets trahissant l'absence d'existences que le temps fera lentement couler
sous l'asphalte. Les sacs à dos et la tente coulés sous le béton (œuvres de
Briac Leprêtre) y sont des gisants, qui trahissent par la pérennité qui leur a
été conférée, le vétuste et l'éphémère de nos existences. Avec l'exposition en
arrière plan, ils deviennent les témoins de ce qui restera de nous après une
éruption mystique, où le passé millénaire et le présent factuel cohabitent et
font émerger du ciel des formes géométriques dont les origines se puisent dans
le flot de la terre, irradiés par une lumière qui nous paraît assurément
divine. On y ressent le frottement des plaques et l'énergie colossale dégagés
par les formes qui pourtant sont lisses, comme des cristaux de verre. Sans
éclaboussures, aucune. On y surprend un air presque post-apocalyptique qui nous
renvoie à cette fin des temps programmée par notre race, où nos villes seront
fondues dans le plomb de la colère terrestre parmi les poussières, emportées
par les nuées ardentes et les coulées de lave et dont les fragments seront mis
sous des cloches de verre par les générations futures ayant survécu au déclin
de leur race. On sent chez Angélique les échanges de matières, les paysages à
la fois pérennes et en perpétuelle évolution, modelées sans cesse par les
combats incessants que se livrent les
golems et géants de pierre, déités primitives et colossales, dont le résultat
se livre à nos yeux en un panel de noir et de blanc sur lequel est portée l'ombre
d'un reste de cubisme. On oscille entre le brutal et le gracieux, mais le
résultat, esthétisant au possible, fait l'effet d'une véritable puissance
mystique sous-jacente. L’extrême finesse et la linéarité lisse et régulière,
que l'on sent émerger de la tourmente nous livre un paysage fantôme de strates
minérales polies par la chaleur. Angélique invente une roche spectrale, un grès
sépulcral qui est aussi matrice de toute vie. L'artiste sculpte la matière pour
ne plus croire aux fondements même de la science, pour ne plus croire à
l'atome, ou uniquement au carbone. Pour ne plus croire qu'au spirituel qui
devient la matière même de ce grès, de cette roche, enfouissant inexorablement
les époques et forgeant les mythes, trouvant la petitesse et le semblant de
vétuste dans son extrême pérennité, car des milliards d'années nous regardent
derrière le verre d'une simple cloche. La roche prend ici valeur de matière
mystique et est absorbée par les fumées et les poussières de roche diaphane et
par le grès esthétisé des formations géologiques. De la mine de plomb émane une
avancée dans la grotte humaine et terrestre, qui rend à ces roches
fantomatiques la grandeur mystique des scènes historiques, le tout enrobé d'une
lumière d'éclipse caressant et lissant le grès sépulcral par une matière
spirituelle et non matérielle, sans couleur aucune. Car la couleur n'est pas
dans les origines de la terre, la genèse n'est pas matière, seulement néant,
seulement lumière. Seulement le noir, seulement le blanc.
Martin Roy
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