The Home Stage,
Jessica TODD
HARPER
Galerie
Confluence, 4 rue de Richebourg à Nantes, du 8 septembre au 15
octobre 2016
The Home Stage est une
exposition photographique de l'américaine Jessica Todd Harper mise
en scène par cette dernière et les membres de l'association qui
font vivre la galerie Confluence. Elle s'intègre à l’événement
de la QPN « Heureux qui... » (Quinzaine Photographique
Nantaise) qui alimente depuis quelques jours la ville d'images
contemporaines sur le thème du bonheur.
Cette artiste de 40 ans nous dévoile
un travail autobiographique par une série d'une petite vingtaine de
clichés de sa famille et de son entourage proche avec qui elle vit
au quotidien. Elle nous présente ainsi de façon intime son
environnement aux allures un peu bourgeoises, au cœur de la
Pennsylvanie.
Ses photographies prennent pour point
de départ une lumière, une couleur qui l'interpelle dans une scène
qui se déroule sous ses yeux. La peinture est à la fois présente
dans la représentation, avec des visages peints en arrière-plan,
mais aussi par le caractère pictural de la photo évoquant les
compositions classiques flamandes. Dès lors, on pourrait croire en
voyant ses photos que l'artiste effectue une mise en scène
minutieusement chorégraphiée de ces personnages avant de les
immortaliser...et pourtant, elle n'effectue que rarement de grands
changements afin de conserver au mieux l'esprit du moment.
Cette troublante série nous frappe
tout d'abord par l'intensité des regards des multiples enfants que
l'on croise au fil de l'exposition. Toujours plus ou moins au centre
de l'image, ce sont des regards soutenus, confiants, et même assez
froids qui nous observent, nous spectateurs, nous obligeant à une
interprétation de ce qui se dégage de ces scènes de vie
quotidienne. Cette proximité entre les personnages et l'objectif
n'aurait jamais pu avoir lieu avec un photographe venant de
l'extérieur du cercle. De plus, Jessica Todd Harper semble nous
inviter de force dans son univers et nous offre le statut, un peu
voyeur, de visiteur qui n'aurait pas réellement sa place dans ces
compositions d'où ressort une inquiétante étrangeté. C'est donc
d'un pas mal assuré que l'on se promène entre ces photographies qui
ornent les murs de la galerie dans un consentement mutuel mais muet
avec les proches de l'artiste.
Toutes sont des photographies
d'intérieur, excepté la dernière où la scène présente une
grand-mère tenant un bébé dans ses bras dans un jardin. Cependant,
celle-ci ne fait pas office de porte de sortie, et le reste des
photos témoignent par leur cadre le souhait de Jessica de nous
inclure à son environnement, puisqu'on circule littéralement au
sein d'espaces clos.
Afin de ne pas s'appesantir sur les
expressions des personnages, c'est la délicatesse et le « léché »
des clichés qui nous rendent curieux des moindres détails qui
agrémentent l'espace et qui peut-être pourraient nous en dire plus
sur ce cercle d'intimes. Et c'est ainsi, en tentant de déceler de
minutieux indices que nous sommes attirés par les jeux de nœuds
entre les personnes et les diverses générations représentées.
L'idée de transmission, d'héritage familial et culturel s'impose
alors à nous : les enfants jouent avec leurs parents sous les
regards de leurs aînés, des femmes tiennent dans leur bras de
toutes nouvelles vies et contrastent avec des personnages fatigués
par le temps... Tous les âges s’entremêlent et provoquent chez
nous une perte de repères temporels : toutes les photos ont été
prises non pas au même instant mais dans un temps cependant assez
rapproché, ce ne sont donc pas des photos qui défient les
générations et montreraient plusieurs fois une même personne à
différentes périodes de sa vie. Pourtant notre envie de spectateur
de tisser des liens et de former des récits est forte ;
certainement pour essayer de mieux comprendre ce qui nous échappe
dans ces photographies.
Cette densité se juxtapose avec
l'impression d'un trop plein de vide au sein de cette famille
traditionnelle, aux allures de modèle...à laquelle on ne peut
décidément pas coller l'étiquette de la « famille idéale ».
Cette atmosphère lisse et propre, bien que très intrigante, se
veut immersive sans nous laisser totalement nous immerger.
Au cours de l'exposition, un
rapprochement évident avec le film Éternité (écrit et
réalisé par Trần Anh Hùng, et sorti le 7
septembre 2016) s'est imposé à moi. Peut-être était-ce
parce que je l'avais vu 2 jours auparavant.... Néanmoins l'analogie
entre cette adaptation du roman L'Élégance
des veuves d'Alice Ferney paru en
1995 et The Home stage me
permet d'aller plus loin dans la réflexion sur ces photographies
mystérieuses.
Tout comme
l'exposition, ce film montre un cercle d'intimes (famille et amis) de
façon très pudique. Nous sommes également invités à être
présents, à tout voir de notre délicate place de simple spectateur
coincé dans son fauteuil de cinéma. Il traite d'une histoire de
générations, et d'un éternel récit gravé dans le marbre qui se
répète au fil des âges.
L'esthétique des
images du film insiste sur le traitement de la lumière, souvent
douce, qui guide le regard du spectateur. Le décor, qui reproduit
les espaces de vie de la bourgeoisie de la fin du XVIIIème siècle
évoquent directement les précieux meubles et objets des maisons
dans lesquelles Jessica Todd Harper prend ses clichés. D'autre part,
le film ne comprend que très peu de dialogue, telles les
photographies ou tous les personnages sont muets ; le regard et
les gestes sont la parole. De plus, la chorégraphie que forment des
placements dans l'espace est toujours bien pesée, méticuleusement
équilibrée et soignée. Et enfin, le point de vue des femmes est
omniprésent sur toute la durée du long-métrage, et comme la
photographe avec son objectif, il montre un lieu qui est loin d'être
le paradis, où s'entremêlent des vies et des histoires.
Jessica
souhaite nous faire rentrer au plus loin dans son univers et prenant
pour œil sa subjectivité, comme s'il fallait qu'elle fige ce qui se
passe à un instant présent et qu'elle capture ce qui ne se répétera
peut-être jamais...alors que, tout comme le film le démontre, tout
finira certainement par recommencer.
J'invite donc
les amateurs à se rendre à la galerie Confluence avant le 15
octobre pour découvrir le travail énigmatique de Jessica Todd
Harper, et à pourquoi pas se rendre aux dernières séances du film
Éternité qui
complète ces questions de la place du spectateur au sein d'une
intimité qui n'est pas la sienne.
Pour plus
d'informations complémentaires :
http://galerie-confluence.fr/expositions/
Mathilde Blieck