Colloque l'irreprésentable, tenu à l'esba
organisé
par le musée des beaux-arts de Nantes
Participants : Alain Fleisher, Jean-Jacques Lebel, Anne Tronche, Sandra Adam-Couralet , Joseph Cohen, Raphaël Zagury-Orly, Daniel
Dobbels, et un mystérieux greffier qui, selon mon humble avis, et celui de
toute la salle, devrait écrire un bouquin.
Genre : Discussion avec artistes et philosophes autour de
l'irreprésentable, parallèlement à l'exposition tenue à la Hab Galerie.
« Il n'est point d'homme qui
ne veuille être despote quand il bande »
Sade.
« La
torture est de plus en plus souvent sexuelle, et c'est de pire en pire, avec
les nouvelles technologies »
Jean-Jacques Lebel, dans une
introduction monumentalement simple, en antifasciste convaincu, nous dresse un
rapide tableau de la barbarie humaine moderne.
Jean-Jacques
Lebel, rappelons-le, à l'origine de l'installation Hitler et Eva Braun,
cinéastes.
Car
parfois, dans l'irreprésentable, la plus puissante évocation de l'horreur se
trouve dans le sourire des bourreaux.
Noirs
de gris
et
parés d'oriflammes
ils
époussettent mollement
leurs
jaquettes innommables
légèreté
du tyran
invincible,
et Goebbels
sur
la scène, la tête entre
les
cimes, ils rigolent
et
puis le ciel est beau
constellé
de nuages
les
montagnes résultent
d'un
autre moyen-âge
et
son regard limpide
se
serre dans un étau
l'amour
est là, présent
et
à force de mots
tous
leurs corps d'Allemandes
sont
l'innocence même
d'une
jeunesse démente
et
l'horreur sous-jacente
va
leur dire, à tes gosses
qui
ne comprennent pas
dans
l'horizon subsiste,
la
mémoire de tes pas.
Avec
Alain Fleisher
L'image
comme simple image
sans
cesser d’être des images
semble
s'enfoncer dans l'espace de la vision
dans
les artifices de Sodome
l'échappatoire
souverain du comique
les
aberrations de la déraison
irrésistible
appel au rire
trop
vite, sans doute.
Emportement
jusqu'au-boutiste
qui
échappe
créer
l'espace et le temps de réception
dans
l'horreur inestimable
des
mots usés
l'horreur
du lexique
les
quatre murs de son cachot
impossible
regardeur
outil
d'exploration de l'infini
pauvreté
de l'insuffisance
présentés
invisibles
TROP
BLANC TROP LUMINEUX
S'ensuit
la parenthèse philosophique
Branlette
Branlette
Branlette
intellectuelle
Pardon
à Joseph Cohen et Raphaël Zagury-Orly que je crois sincères,
et
qui étaient gentils comme tout.
Mais
j'ai pas tout compris.
Opérations
magiques
de
sorcellerie
Tout
artiste est récidiviste
les
spectres ne parlent pas
dans
les ruines
on
n'entend plus que des souffles
les
spectres n'ont pas d'autre langage
que
le souffle
la
parole, c'est de l'air
qui
passe par un corps
la
pari phonatoire transforme
le
souffle en parole
la
revenance dans une temporalité
réversible
Elle
peut revenir du présent
la
solution finale est impossible
impensée
dans
un secret absolu
Cet
impensable est resté.
Car
ce qui est pensé, c'est la technique
comme
la bombe H
L'impensable,
en revanche
C'est
le résultat de la technique.
« Le
mot le plus fréquemment utilisé, et qui retombe à chaque fois dans ces derniers
faits-divers horribles, c'est le mot Kalachnikov... Comme si c'était la
Kalachnikov la responsable de toute la violence de ces derniers jours...On est
en train de réduire le résultat à la technique même.» Alain Fleisher, à
propos des attentats de Charlie Hebdo.
Daniel Dobbels, car la danse,
c'est créer, résister aux captations de l'image pour que l'apparition des corps
dansants soit assez parlante pour que l'on n’ait pas envie d'effacer tout de
suite ce mouvement de la mémoire
Daniel Dobbels,
car notre sensibilité a une vapeur, et que l'homme a enfin son atmosphère.
«La
danse est un arc tendu entre deux corps »
J'ai
cru voir
un
cobra
un
oiseau
une
statue
j'ai
cru voir
de
la cire
en mouvement
j'ai
cru voir
un
enfant
un
fœtus
un
vieillard
j'ai
cru voir
une
poupée
un
pantin
disloqué
j'ai
cru voir
une
armée
macchabée
et
des chairs
en
mouvement
j'ai
cru voir
un
espace
hors
du temps
de
l'espace
en
mouvement
j'ai
cru voir
un
mouvement
tremblement
et
un corps
et
un mort
j'ai
cru voir
un
vivant
Suite à une Danse par Carole Quettier, de la compagnie de l'entre-deux,
sur le « Stabat Mater » de Vivaldi.
Merci,
Carole, pour ce moment sublime.
Anne Tronche, c'est le
syndrome de la beauté, cette recherche du beau dans la douleur, mais sans
Baudelaire.
L'actionnisme
viennois vous libère des pulsions interdites par la culture
L'actionnisme
viennois est violent
L'actionnisme
viennois cherche à vous convaincre de l’utilité de cette violence
L'actionnisme
viennois est le blasphème
L'actionnisme
viennois mêle équarrissage et rite judéo-chrétien
L'actionnisme
viennois veut exorciser dans le sang une société fasciste
L'actionnisme
viennois appartient à la catégorie du dérangeant
L'actionnisme
viennois vous oblige à prendre parti
L'actionnisme
viennois ne connaît pas d'entre-deux.
Anne
Tronche, c'est cette esthétique qui enlève aux images toute leur subversion,
leur provocation, et leur pouvoir d'évocation, qui les étouffe sous l'oreiller
de la beauté puisque ce qui est beau se vend bien.
Anne
Tronche, c'est la révolte contre une photographie contemporaine capable de
puiser dans l'intolérable les restes de la beauté du monde.
Anne
Tronche, c'est dénoncer la faculté digestive et transformatrice de notre
société, qui rentabilise chaque centimètre carré du monde, qui extirpe des
crédits de la tourbe
et
qui prend dans l'innommable les miettes dilapidées de la dignité humaine pour
finir par les sacrifier sur l'autel de la consommation.
Anne
Tronche, c'est finir par dire « Il fut un temps ou l'intolérable des
images formait l'effort de conscience et la légitimité de la révolte ».
Puis,
le greffier annonce
une conclusion judéo-chrétienne
Altéré
par des convictions morales
interdictions
et impuissances
prendre
en charge un croisement
il
souffre en lui même
ce
que le monde contemporain
offre
en horreur
l'image
des dieux grecs
statues
et images
impuissantes
à
nous faire plier les genoux
représenter
cet état de grâce
l'orthographe
est flottante
mais
elle produit des variantes
pointe
de sublime
et
copies falsifiées
dans
un paradigme du silence
le
visage de la sagesse
car
le cinéma échoue
codifie
la représentation
qu'une
copie
et
son acceptation valable
la
mimesis à terme
ce
qu'elle ne peut pas
œuvrer
Elle
a le pouvoir de représenter la nature
qui
est conscience artistique
elle
nous apprend à voir
elle
nous rend supportable à la vue
ce
que dans la réalité
il
nous est insupportable de voir
l'immensité
dans la figure
le
séduire dans l'esclavage
la
longueur dans la brièveté
la
gloire dans la confusion
la
dualité humaine
évidemment
de la représentation
c'est
en l'homme qu'est le monde sensible
et
intelligible
la
voie de passage est en nous même
elle
est l'équivalent du ciel étoilé
au-dessus
de moi
la
pensée, l'art et l'emprise sur le réel
s'éloigner
pour mieux y revenir
si
l'art s'absente du monde
c'est
pour mieux y revenir
L'art
contemporain ne peut
faire
le deuil de sa radicalité
l'humanité
du Christ
n'a
rien d'exceptionnel
mais
le fait qu'il puisse
être
sujet à la torture
à
la souffrance et à la mort
l'est.
La
danse magnifiée
tient
tous ces corps
qui
n'est pas crucifixion
mon
corps ne perçoit pas
mais
il est construit par une perception
qui
s'exprime à travers lui
Les
harmonies émouvantes
sont
une esquisse sommaire
une
impossibilité de s'arrêter
à
quelque consolation que ce soit
Quelque
chose de plus
Mais
l'irreprésentable
est
seul
il
est le défaut ou l'excès de représentation
entre
sensible et intelligible
peut
être y a t il dans ce tableau
la
définition de ce qui est nôtre
des
gestes qui la font naître
mais
un vide est présent de toutes parts
la
représentation appelle quelque chose
est
le parangon de l'irreprésentable
celles-ci
ne sont pas dans la nature
mais
n'habitent pas un autre monde
que
le nôtre
Celui que je pris pour le greffier s'est avéré être Jean Claude
Conesa, l'organisateur même du colloque, et si j'avais su que les notes prises
par ce personnage discret et effacé (c'est ainsi qu'il m'a paru) allaient
servir à composer cette conclusion magistrale qui nous a tous ravis, tant dans
sa longueur inattendue que dans son extrême richesse, je me serais abstenu de
nommer « greffier » cet homme doué d'un remarquable talent pour la
synthèse , et ce dans un mélange de puissance verbale et d'extrême modestie.
Merci à lui.
ROY Martin