Je suis innocent, Adel Abdessemed,
Au Centre Pompidou.
Jusqu’au 7 Janvier 2013
Lorsque vous passerez à
Beaubourg voir l’exposition de Bertrand Lavier ou simplement flâner
dans l’accrochage permanent, il vous est fortement recommandé de
rentabiliser votre ticket et d’aller faire un tour dans la galerie
sud. Vous y découvrirez en effet l’univers déroutant d’Adel
Abdessemed, jeune artiste contemporain algérien.
La première salle donne
immédiatement le ton de l’exposition. Interdite aux mineurs pour
son caractère violent ou sexuellement explicite, elle vous entraîne
dans un monde d’images brutales, poétiques ou absurdes. On y suit
un enchaînement de vidéos, parfois très simples, telle qu’un
citron écrasé sous un pied, et montant crescendo jusqu’au délire
visuel avec Lise,
présentant une femme allaitant un porcelet, ou encore Telle
mère tel fils, gigantesque carcasse d’avion
écrasé. On circule avec perplexité au milieu de ce déchaînement
cruel et incongru. Combat à mort entre un serpent et une grenouille,
prêtre jouant de la flûte entièrement nu, couples copulant sous
les applaudissements du public ou voiture carbonisée, cette grande
rétrospective du jeune artiste déroute. S’agit-il d’images choc
gratuites ? Ou d’une réelle dénonciation de la société
actuelle ?
Abdessemed traite en
effet au travers de son œuvre de la violence du monde contemporain,
comme avec cette grande barque évoquant l’émigration remplie de
sacs poubelle, tout en adoptant un langage très référencé aux
œuvres classiques. On ressent dans son travail les influences de
Grunewald, Goya ou Desidero (un tableau de ce dernier est d’ailleurs
présent à l’exposition), et Who’s afraid
of the big bad wolf ? , grand panneau
d’animaux empaillés, est une référence claire à Guernica.
Les travaux de l’artiste alternent ainsi
entre références et modernité, entre voiture carbonisée et Christ
en fils barbelés, entre statue monumentale de Zidane et travail sur
le motif. L’œuvre interpelle sur la sauvagerie et la décadence du
monde qui après tout semblent ne pas être si neuves.
Néanmoins et
paradoxalement l’artiste dont le travail est très engagé et qui
n’hésite pas à choquer (son œuvre Don’t
trust me avait même été censurée) semble
adopter un certain recul par rapport à son œuvre, une forme de
distance presque gênante. Le simple titre de l’exposition « Je
suis innocent » peut paraître étrange. Comme si l’artiste
se désengageait totalement des images qu’il créait.
Je ne me permettrai donc
pas comme il serait de bon ton de le faire en fin d’article de
prononcer un avis tranché sur cette exposition. Certaines images
présentent un choc visuel et émotionnel qu’il serait honteux de
rater mais l’exposition sans véritable ligne directrice peut
laisser perplexe. Enfin quant à la démarche de l’artiste qui peut
sembler confuse, peut être ne s’agit il après tout que de pointer
la violence du monde qui nous entoure sans y prendre part, tel un
spectateur innocent. Comme l’illustre cette célèbre anecdote
lorsqu’en 1937 l’ambassadeur nazi Otto Abetz se trouvant dans
l’atelier de Picasso s’arrêtant devant le tableau Guernica,
demanda outré au peintre :
- C’est vous qui avez fait ça ?
- Non, répond Picasso, c’est vous !
V.B