Blockhaus
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MYKOLA
RIDNYI Perspective pour hier
Exposition
du 17 septembre au 16 octobre 2015
J'ai
trouvé l'exposition de l'artiste ukrainien Mykola Ridnyi captivante.
Lors de cette exposition, nous avons en effet pu observer différentes
pièces, mais ayant toutes un lien avec une certaine violence, un
rapport à la guerre ainsi qu'à la société actuelle.
Tout
d'abord « Blind Spot » ou cet ingénieux moyen de
représenter le mécanisme d'auto-aveuglement humain en le comparant
à une maladie ophtalmologique dans diverses photographies.
En
effet, ici Mykola Ridnyi fait un rapprochement entre un phénomène
pathologique qui rend incapable de voir pleinement ce qui se passe
autour de nous et nous mène à construire une image manquante de la
réalité, petit à petit absorbant toute réalité jusqu'à une
obscurité totale - à l'attitude que nous adoptons au sein des
sociétés modernes et qui devient un processus d'autodéfense nous
aveuglant et nous persuadant d'une réalité inexacte.
Pour
représenter les effets de notre auto-pathologisme il reprend des
clichés provenants de rapports concernant la guerre à l'est de
l'Ukraine et les obscurcit presque totalement à l'aide d'encre,
moyen plastique très intéressant.
Ensuite
« Shelter », vidéo tournée dans l'un des abris
souterrains réquisitionnés dans le cadre d'un programme scolaire
appelé « entraînement de pré-service », représente la
réutilisation des abris construits lors du conflit américano-russe,
et de la paranoïa collective en résultant, par des enseignants et
élèves qui ne semblent pas se préoccuper de la situation politique
de leur pays, mais seulement de l'importance de l'engagement
militaire au sein de la patrie, illustration encore une fois d'un
aveuglement benêt, ridicule, risible. On peut y voir des élèves
s'entraîner à charger le plus rapidement possible une arme, des
cours de tirs, des affiches d'étude de la contenance d'une balle et
entendre des paroles patriotiques.
Puis
« Under Suspicion », série de photographies défilant à
l'aide de diapositives, représentant la suspicion et la
sur-surveillance du gouvernement envers chaque citoyen, chacun
devenant un potentiel suspect, en fonction des détails qui
l'entourent. Pour représenter cela, il fait défiler des clichés de
scènes de la vie quotidienne prises dans l'espace public, puis avec
des inscriptions au stylo, il y entoure les objets et individus
potentiellement suspects.
En
face de cette installation était diffusée une vidéo :
« Regular places ». Cette vidéo représente les fantômes
de la violence qui a pu éclater dans des lieux qui semblent
aujourd'hui banals, des lieux où il est aujourd'hui impossible de
deviner les émeutes, les affrontements à coup de batte de baseball,
les sanctions publiques, les humiliations et les exécutions qui ont
pu s'y dérouler. Mykola Ridnyi y fait revivre ces fantômes, en
transposant sur ces images d'une vie quotidienne banale, paisible,
les sons d'affrontements, de cris, de douleurs. On peut y entendre
des phrases très éloquentes comme : « Mort aux
ennemis », « Putain de pédés », « Ils
tabassent des gars ! Ils tabassent des gars les mecs ! »,
« Ils ont été attaqués, un vieillard est tombé ! »,
« Tue-le ce chien de russe ! », « Regarde !
Ils lui ont fracassé la tête ! », « Mon dieu
quelle horreur ! », ainsi que des cris d'horreur et de
peur. A côté des images paisibles, les cris et les voix de ces
fantômes nous choquent.
On
en vient à réaliser l’étendue de cette horreur, mais aussi à
l'imaginer dans notre rue, notre place, notre environnement.
Et
pour finir, la vidéo « Forteress », que j’interprète
un peu comme l’apogée, le point final de l'exposition. Car tout ce
que l'on nous a présenté auparavant faisait appel à notre
interprétation, on nous voilait les choses pour mieux les regarder.
Ici on nous lâche les images. On peut voir des hommes armés, des
barricades, des groupes de défense, de grands feux, des émeutes,
les énormes dégâts des lendemains, des châtiments, des
humiliations, des combats,...
Toutes
ces images sont commentées par des extraits, des citations de textes
sur l'histoire médiévale.
Ils
comparent le développement du néolibéralisme contemporain dans les
pays de l'est avec celui du système des anciennes monarchies en
Europe :
Les
hommes qui se battent à l’extérieur du château, les bruits des
affrontements, des béliers, de l'huile bouillante et les barons à
l'intérieur, gros, opulents, riches, protégés par une horde de
soldats et écoutant de la musique (Opposition au bruit de la guerre
à l’extérieur).
Ils
illustrent aussi la reprise de rites des guerres passés :
tenues, noms, cris,..
Mais
surtout le mouvement contre les « privilèges seigneuriaux »,
les privilèges des systèmes du moment en faveur des dirigeants.
Pour
conclure j'ai trouvé cette exposition très enrichissante, de par
ses dénonciations, mais aussi de par les moyens plastiques utilisés
pour y arriver.
Mykola
Ridnyi a tout à fait atteint son but de dénonciation de la
propagande, la manipulation, la répression, l’oppression, les
processus de gouvernance, et surtout la manière avec laquelle
l'humain peut occulter une réalité. Il mélange les œuvres qui
représentent symboliquement ce qu'il veut exprimer comme « Blind
Spot » avec les œuvres, qui grâce a l'utilisation du style
documentaire et des images de surveillance imposent une brutale
réalité.
Il
dénonce et demande un questionnement de nous-mêmes, de notre
société.
Cet
artiste m'a plu, m'a touchée et m'a aussi montré une vérité
choquante.
Line
Bourdoiseau