jeudi 7 avril 2011

FRESH HELL

FRESH HELL, Carte Blanche à Adam McEwen
Palais de Tokyo Paris
Du 19 octobre 2010 au 15 janvier 2011

 Adam Mc Ewen invité par le Palais de Tokyo, y jouait le rôle du commissaire d’exposition. C’était la première fois que je voyais un artiste organiser un florilège d’œuvres d’autres créateurs.
Une fois entrée dans la première salle, me font face trois statues médiévales, bustes prêtés par le Musée de Cluny, et un mur de polystyrène recouvert d’aluminium !  Etrange mélange ! Je comprends alors qu’il ne s’agit pas d’un accrochage chronologique, mais que peut être Mc Ewen essaie de créer des ponts entre des œuvres à priori diamétralement opposées. Ici, on trouve également la photographie des sœurs Liden (ci dessus), choisie pour l’affiche de l’exposition. C’est un grand format aux couleurs attractives, qui met en scène les deux jeunes femmes grimées en bricoleuses devant un tractopelle, sur un chantier. Elles regardent droit dans l’objectif, l’air de dire au visiteur : « Nous sommes prêtes à œuvrer, à construire »
Le mur réfléchissant de Rudolf Stingel est déjà bien altéré des diverses interventions de visiteurs, qu’il invite à intervenir sur son support. L’objet a pris une tournure urbaine et collective.
La deuxième salle est exclusivement occupée par l’œuvre monumentale de Michael Landy, Marquet. Il s’agit d’étals recouverts de gazon vert en plastique, à la surface desquels n’était disposé aucun objet. L’absence de la marchandise et de l’humain est d’autant plus palpable qu’une vidéo nous montre le contraire : un commerçant barre le passage en emplissant un trottoir de cageots. Le spectateur déambule parmi les étalages fantôme d’un marché à la dérive
C’est donc en promeneur que nous pénétrons dans la troisième salle, celle où justement la figure humaine revient dans toute son incarnation. Cette section présente des travaux d’artistes sous le signe de l’exercice et de la recherche. Tandis que Ana Mandieta présente une vidéo dans laquelle elle mène une danse aussi bien sensuelle que macabre avec un squelette dans l’herbe, Gino de Dominicis s’entraîne à voler, Bas Jan Ader se met en position de proie dans son propre piège, Sarah Lucas fume sa cigarette avec un air songeur et Bruce Naumann court après un but mystérieux. On remarque également le cliché d’une maison fantomatique perdue au milieu d’eaux calmes, réalisé par Curt Goiris. Un coffre fort forcé, mis en place par Maurizio Cattelan, expose le vestige d’un pillage, d’une recherche frénétique.
Dans cette salle, j’ai vu l’implication du corps de l’artiste, parfois dangereuse, souvent expérimentale, et parfois conflictuelle (le terrible manque d’inspiration, l’angoisse liée à la création)
Et le jeu du corps et de l’esprit continue de plus belle dans la quatrième section : on entre par le labyrinthe suspendu de Georg Hérold, constitué de lattes de bois.
Il nous mène vers l’agrandissement du portrait noir et blanc d’un jeune homme, qui s’avèrera être Kafka. On découvre ici un autre visage de cet écrivain, authentique et déroutant, du simple fait de sa représentation pour le moins originale et intimiste, et de son impact dans l’imaginaire collectif .
La création sous psychotropes est traitée entre autre dans la section suivante avec les dessins d’Henry Michaux, effectués sous mescaline, ou même Dan Graham qui expose un tableau des psychotropes les plus consommés aux USA, et leurs effets secondaires. Avec une objectivité effrayante, il interroge les dangers d’une telle médication et la frontière entre drogues et médicaments.
L’ultime section de l’exposition offre une place importante à l’art conceptuel, à la question de la transcendance dans la création, auquel M. Cattelan fait un clin d’œil formel.

Ce qui m’a plu concernant cette exposition, c’est la façon qu’a Mc Ewen de décortiquer et de mettre en scène l’acte de création, et ce en mettant en corrélation des œuvres très différentes, d’époques parfois extrêmement éloignées. Du commencement à l’aboutissement d’un projet, les angoisses et autres affres liés à la recherche artistique, le mode de vie de l’artiste et la quête sémantique qui le guide, concernant ses œuvres comme sa propre existence.

Cécile Serres