jeudi 21 décembre 2017

Haruki Murakami "Le passage de la nuit" Déborah Bron

  
Haruki Murakami - Le passage de la nuit 
     Une nuit sombre et noire à Tokyo, où le temps s’égrène lentement et où l’on retrouve une certaine nostalgie. Murakami évoque la situation la plus «naturelle» à laquelle chacun de nous est sans cesse confronté ; La nuit, elle, est universelle, c’est un fait, chacun la subit, chacun s’en sert comme il le souhaite, c’est là où une partie du monde s’endort, et une autre s’éveille.           Une horloge marque le temps à chaque début de chapitre, on suit différents personnages et plus la nuit avance plus les personnages se révèlent et se découvrent, toujours à mi-chemin entre rêve et réalité. Lire ce roman c’est toucher de près à la simplicité au-dessus de laquelle chaque être humain passe sans y accorder beaucoup d’importance, on en ressort attentionné et perspicace quant à ce qui nous entoure. L’histoire se met en place doucement, laisse des indices, ne révèle pas tout elle nous remémore aussi des sensations lointaines rangées dans un coin oublié de notre mémoire. Ce  livre est un temps de méditation et de calme, où l’on s’autorise à ralentir, à faire une pause avant de retourner à une vie où tout va parfois trop vite... C’est une histoire courte, à l’écriture fluide et rythmée. Grâce aux nombreuses incursions de la musique, on baigne dans des ambiances allant du jazz à la musique classique créant une bande son à l’histoire.  L’auteur rend le quotidien merveilleux ou effrayant laissant une certaine marge de manœuvre pour interpréter son dénouement puis nous observons les personnages comme si la caméra utilisée par l’auteur était finalement tenue et dirigée par le lecteur. Et même si je n’arrive pas à imaginer quelle forme cela pourrait prendre, j’aimeraie en voir une adaptation. Je me suis attachée à chacun des personnages voyant le matin arriver avec regret.

Déborah Bron

mercredi 6 décembre 2017

Carré 35 - Mathilde Lagaron









CARRE 35 de Eric Caravaca est un film français sorti le 1er novembre 2017.
(Durée 67min)

Dans ce film, Eric Caravaca entreprend un travail d’enquêteur pour découvrir le mystère sur sa petite sœur, disparue quand il était jeune. A travers des photographies de son enfance ou encore des témoignages celui-ci découvre peu à peu la vérité. 
Il grandit alors dans une famille traumatisée et muette. Il essaye de se construire une 
identité sur des mensonges et semble finalement au long du film se chercher lui-même, comme une quête de sens à sa vie. 

Il réalise ce film sur une période de 10 ans (1954-1964) qui ont été très flous et témoignent de l’indépendance de l’Afrique du Nord. Il met ces événements en avant pour illustrer cette mémoire que l’on tait. Lui, la rapporte à son histoire personnelle et cherche à mettre en exergue la mémoire de sa sœur, ce qui apparaît comme une envie de transgresser les tabous. 


L’élément qui me parle particulièrement dans ce film, en est le sujet même : son rapport à la mort ; l’idée d’enquêter sur sa sœur morte pour faire revivre un fantôme. Ou encore, en filmant son père après son décès pour rendre immortel son entourage. 
Et c’est aussi sa manière de traiter le secret. De plus, en demandant à sa mère de jouer et non à une actrice, on ressent à l’écran un vécu et non un rôle. Les émotions deviennent ainsi saisissantes. Et alors que sa mère vieillit au long du film et des « interrogatoires » le déni laisse place à une acceptation. 
Son enquête par les photos se révèle être un puzzle avec des pièces manquantes qu’il parvient finalement à reconstituer. 
Enfin, le cinéaste sait mettre en avant la puissance de l’image qui est évocatrice de sens et qui, de ce fait, remplace les mots comme cette photo révélant une famille qui semble chercher des souvenirs cachés et ensevelis.


M.Lagaron L1

Flood - Cécile Dugue

FLOOD      
De Daniel Linehan
Au Lieu Unique
Du 14 au 15 novembre

Entrée en salle sous l’œil des danseurs déjà présents. La lumière s’estompe laissant place à cette ambiance bien connue des spectacles nocturnes. De grands voiles rectangulaires suspendus au centre de la scène occupent une place que je pense déterminante. Les danseurs prennent vie et dessinent leurs gestes dans l’espace.
s’entrechoquent
courent
parlent un langage méconnu
deux duos
quatre vies
se croisent
se décroisent
expérimentent
crient
virevoltent
jouent
touchent
recommencent
accélèrent
Le temps passe, la pièce de voiles blancs à l’intérieur de cette imposante salle noire n’a toujours pas été sollicitée. L’ennui m’étreint, l’envie me retient. Je veux voir cette toile s’animer sous mes yeux. L’énergie dégagée par ces corps frénétiques créer un environnement confus. Les mouvements, devenus familiers par la répétition de ce parcours, s’accélèrent et se recentrent. Jusqu’à s’immiscer à l’intérieur de ces tissus fluides. La danse se lit à travers les couches imbibées de lumière. La pièce qui au départ se compose d’humour, d’énergie et de vitesse, se transforme en une chorégraphie poétique, envoûtante, presque chimérique. Un temps qui s’évapore. Les ombres dansent, se multiplient, et disparaissent à mon regret. La lumière qui remplissait la scène entière s’est recentrée jusqu’à ne devenir qu’un point au loin.


Clémence Dugué

Les seules formes, les seules questions - Cécile Dugue

GROTTA PROFUNDA, APPROFUNDITA, Pauline Curnier-Jardin 
à la Biennale de Venise 2017

Les seules formes, les seules questions

Il n’y a pas plus éprouvant que la Biennale de Venise pour la concentration, car partout dans la ville s’ouvrent des expositions comme des joyaux dans un écrin déjà lui-même du plus grand raffinement. Les parures des rues sont époustouflantes, le regard ne peut qu’être ravi, sollicité et comblé, pourri-gâté. Et lorsqu’on rentre dans un Palazzo, là encore c’est magique, des œuvres  d’art contemporain, du design à l’art conceptuel, de la peinture, de la vidéo, de la sculpture, de la musique, tout, quoi !
Et puis on rentre dans l’immense Arsenal, on en a encore partout autour de soi, c’est de l’artillerie lourde, c’est superbe, ça dégouline d’art contemporain, de bon goût, d’exceptions, on est gavé, on en veut encore, c’est de la boulimie, on vomit un coup et rebelote. 
Tout à coup, on entre dans une sorte de bouche en papier-mâché, c’est très sombre, on se demande ce que c’est que ce recoin de l’expo, et on se retrouve face-à face avec l’essentiel. On oublie tout. La Poésie est là, dans cette grotte. Elle se jette sur nous, elle va tout profond dans l’obscurité, dans ce qui est humain, là, dans ton ventre et puis partout. C’est la seule rencontre de la Biennale qui totalise le corps et la pensée, qui n’est pas qu’une surface, qui est même le dessous de la croûte. Et comme sont belles ces aspérités !
Dans la caverne, je tâtonne un peu avant de retrouver mon équilibre — le sol est inégal. Vingt minutes coulent et ce n’est pas un léger « tic-tac » à l’horloge ; non, ça résonne violemment, il y a une présence, une présence qui traverse la vidéo pour se retrouver, étrange, dans la grotte verte et rouge. C’est exubérant : des démons, des rochers, des jeunes filles dansent et leurs chants racontent un rêve universel. Je me crois revenue à des temps où la tragédie était sacrée, où l’opéra n’existait pas encore. La musique vient de la terre, sous la surface ; elle cherche un dieu, elle trouve des corps. Une araignée ou une femme ? Il y a une foule de moments, mais tout est linéaire : la seule spiritualité contemporaine est un pleur, un vagissement de nourrisson. Et il y a le rire ! La joie absurde, évidente, jouissive du mouvement perpétuel, que les questions n’entament pas.
La lumière enrobe, délivre, mais surtout garde les mystères. Elle encercle les mythes dans une grotte profonde, approfondie.


Cécile Dugué

Nantes triptych Bill Viola - Méline Chargé

Nantes Triptych- Bill Viola

Installation vidéo à la  Chapelle de l'Oratoire, musée d’arts de Nantes (10 rue Georges-Clemenceau) du 23 juin au 18 mars 2018
Site de l’artiste : http://www.billviola.com/
La vidéo, réalisée par Bill Viola, a été conçue à l'origine comme une commande pour le Centre National des Arts Plastiques en France, pour être montrée dans une chapelle du XVIIe siècle au Musée des Beaux-Arts de Nantes en 1992. 
Elle se présente sous forme de triptyque en écho aux peintures religieuses dans l’art occidental, montrant au moyen de la vidéo sa version contemporaine d’iconographie spirituelle. L’artiste nous invite à découvrir sa perception des cycles de la naissance (accouchement entièrement filmé), de la mort (derniers instants d’une vieille dame, la mère de l’artiste, filmés aussi) et la vie, symbolisée par les ébats, aisés ou difficiles, ardents ou étouffés, d’un homme qui se meut entre deux eaux, par le biais de trois écrans vidéo en diffusion simultanée Au premier cri de vie du nouveau-né répond le dernier souffle de la mourante (accompagné de ceux du nageur) et d’une bande sonore de pleurs, de mouvements d'eau et de respiration dans une boucle de 30 minutes.
Le personnage central souligne un entre-deux, tiraillé entre la vie et la mort, il traverse des phases  alternées de turbulences et d’immobilité ondulante, maintenue en suspension fragile devant un espace indistinct et ombragé. Le corps flottant dans le panneau central a été filmé dans une piscine pour un travail antérieur, The Passing (1987-88).  
Bill Viola met en évidence que l’expérience de la mort est commune aux religions et qu’elle traverse tous les lieux et tous les temps. La réflexion de Bill Viola sur la temporalité s'accompagne d'une prise de conscience de la finitude humaine. 
Pour lui, la naissance et la mort, les marqueurs qui délimitent notre durée de vie, «sont des mystères dans le vrai sens du mot, non destinés à être résolus, mais plutôt expérimentés et habités, et «des questions telles que la naissance et la mort ne commandent plus notre attention après qu'elles ont été expliquées physiquement» et qu'il est essentiel d'y revenir en tant que «réveil» avec de puissantes émotions cite Bill Viola dans Effets spirituels (1995, p.273).


Chargé Méline

Linnæus in Tenebris - Margot Darnat

CAPC Bordeaux
Linnæus in Tenebris
NAUFUS RAMÍREZ-FIGUEROA
Installation in situ et performance conçues pour la Nef du musée


Nous avons eu une bonne idée en nous pointant devant le CAPC dès le lever du jour, l’endroit est désert. Un ancien entrepôt de denrées coloniales en plein milieu de Bordeaux, l’expérience du lieu est complète, froide et lourde. Le bâtiment gigantesque, et je n’ose pas faire de bruit pour ne créer aucun écho perturbateur, pourtant nous sommes les seuls visiteurs.

Ils ont enfermé des plantes anthropomorphiques en polystyrène dans la nef. Ici dans le noir, leur faux feuillage phosphorescent luit. Cette végétation est plutôt sage, elle ne cherche pas à s'expandre,  chacune cantonnée à son petit socle, son petit espace, séparées les unes des autres comme une dizaine de scènes qui s’enchaînent.
Ils ont pendu des arbres anthropomorphiques en polystyrène dans cette pièce et ont disposé des petits autels singuliers en terre. Cherchent-ils à s’excuser ? Mais les offrandes sont inutiles à un végétal déjà mort, que pourrait-il bien faire d’un peigne ?
Ces organismes ont déjà abandonné, restent prostrés dans un coin, seul un se débat encore : cet arbuste est convaincu qu’il finira par se débarrasser de cette enveloppe qui l’entoure et l’étouffe.

Un écriteau disposé à l’écart témoigne de la préoccupation de l’artiste : la souffrance de la terre et celle des hommes qui l’exploitent.

Pendant notre déambulation en ce lieu sombre nous sommes aveuglés par les seuls éléments lumineux de la pièce, des lumières blanches très théâtrales qui jaillissent de longs spots et le tunnel éclairé menant à l’exposition voisine : « 4,543 MILLIARDS. La question de la matière ».

Nous nous y dirigeons, figeant dans le temps de nouveau l’espace et ses habitants.


Commissaire : Alice Motard

Margot Darnat