samedi 22 octobre 2016

The Home Stage

The Home Stage,
Jessica TODD HARPER

Galerie Confluence, 4 rue de Richebourg à Nantes, du 8 septembre au 15 octobre 2016


The Home Stage est une exposition photographique de l'américaine Jessica Todd Harper mise en scène par cette dernière et les membres de l'association qui font vivre la galerie Confluence. Elle s'intègre à l’événement de la QPN « Heureux qui... » (Quinzaine Photographique Nantaise) qui alimente depuis quelques jours la ville d'images contemporaines sur le thème du bonheur.

Cette artiste de 40 ans nous dévoile un travail autobiographique par une série d'une petite vingtaine de clichés de sa famille et de son entourage proche avec qui elle vit au quotidien. Elle nous présente ainsi de façon intime son environnement aux allures un peu bourgeoises, au cœur de la Pennsylvanie.
Ses photographies prennent pour point de départ une lumière, une couleur qui l'interpelle dans une scène qui se déroule sous ses yeux. La peinture est à la fois présente dans la représentation, avec des visages peints en arrière-plan, mais aussi par le caractère pictural de la photo évoquant les compositions classiques flamandes. Dès lors, on pourrait croire en voyant ses photos que l'artiste effectue une mise en scène minutieusement chorégraphiée de ces personnages avant de les immortaliser...et pourtant, elle n'effectue que rarement de grands changements afin de conserver au mieux l'esprit du moment.
Cette troublante série nous frappe tout d'abord par l'intensité des regards des multiples enfants que l'on croise au fil de l'exposition. Toujours plus ou moins au centre de l'image, ce sont des regards soutenus, confiants, et même assez froids qui nous observent, nous spectateurs, nous obligeant à une interprétation de ce qui se dégage de ces scènes de vie quotidienne. Cette proximité entre les personnages et l'objectif n'aurait jamais pu avoir lieu avec un photographe venant de l'extérieur du cercle. De plus, Jessica Todd Harper semble nous inviter de force dans son univers et nous offre le statut, un peu voyeur, de visiteur qui n'aurait pas réellement sa place dans ces compositions d'où ressort une inquiétante étrangeté. C'est donc d'un pas mal assuré que l'on se promène entre ces photographies qui ornent les murs de la galerie dans un consentement mutuel mais muet avec les proches de l'artiste.
Toutes sont des photographies d'intérieur, excepté la dernière où la scène présente une grand-mère tenant un bébé dans ses bras dans un jardin. Cependant, celle-ci ne fait pas office de porte de sortie, et le reste des photos témoignent par leur cadre le souhait de Jessica de nous inclure à son environnement, puisqu'on circule littéralement au sein d'espaces clos.
Afin de ne pas s'appesantir sur les expressions des personnages, c'est la délicatesse et le « léché » des clichés qui nous rendent curieux des moindres détails qui agrémentent l'espace et qui peut-être pourraient nous en dire plus sur ce cercle d'intimes. Et c'est ainsi, en tentant de déceler de minutieux indices que nous sommes attirés par les jeux de nœuds entre les personnes et les diverses générations représentées. L'idée de transmission, d'héritage familial et culturel s'impose alors à nous : les enfants jouent avec leurs parents sous les regards de leurs aînés, des femmes tiennent dans leur bras de toutes nouvelles vies et contrastent avec des personnages fatigués par le temps... Tous les âges s’entremêlent et provoquent chez nous une perte de repères temporels : toutes les photos ont été prises non pas au même instant mais dans un temps cependant assez rapproché, ce ne sont donc pas des photos qui défient les générations et montreraient plusieurs fois une même personne à différentes périodes de sa vie. Pourtant notre envie de spectateur de tisser des liens et de former des récits est forte ; certainement pour essayer de mieux comprendre ce qui nous échappe dans ces photographies.
Cette densité se juxtapose avec l'impression d'un trop plein de vide au sein de cette famille traditionnelle, aux allures de modèle...à laquelle on ne peut décidément pas coller l'étiquette de la « famille idéale ». Cette atmosphère lisse et propre, bien que très intrigante, se veut immersive sans nous laisser totalement nous immerger.



Au cours de l'exposition, un rapprochement évident avec le film Éternité (écrit et réalisé par Trần Anh Hùng, et sorti le 7 septembre 2016) s'est imposé à moi. Peut-être était-ce parce que je l'avais vu 2 jours auparavant.... Néanmoins l'analogie entre cette adaptation du roman L'Élégance des veuves d'Alice Ferney paru en 1995 et The Home stage me permet d'aller plus loin dans la réflexion sur ces photographies mystérieuses.
Tout comme l'exposition, ce film montre un cercle d'intimes (famille et amis) de façon très pudique. Nous sommes également invités à être présents, à tout voir de notre délicate place de simple spectateur coincé dans son fauteuil de cinéma. Il traite d'une histoire de générations, et d'un éternel récit gravé dans le marbre qui se répète au fil des âges.
L'esthétique des images du film insiste sur le traitement de la lumière, souvent douce, qui guide le regard du spectateur. Le décor, qui reproduit les espaces de vie de la bourgeoisie de la fin du XVIIIème siècle évoquent directement les précieux meubles et objets des maisons dans lesquelles Jessica Todd Harper prend ses clichés. D'autre part, le film ne comprend que très peu de dialogue, telles les photographies ou tous les personnages sont muets ; le regard et les gestes sont la parole. De plus, la chorégraphie que forment des placements dans l'espace est toujours bien pesée, méticuleusement équilibrée et soignée. Et enfin, le point de vue des femmes est omniprésent sur toute la durée du long-métrage, et comme la photographe avec son objectif, il montre un lieu qui est loin d'être le paradis, où s'entremêlent des vies et des histoires.
Jessica souhaite nous faire rentrer au plus loin dans son univers et prenant pour œil sa subjectivité, comme s'il fallait qu'elle fige ce qui se passe à un instant présent et qu'elle capture ce qui ne se répétera peut-être jamais...alors que, tout comme le film le démontre, tout finira certainement par recommencer.

J'invite donc les amateurs à se rendre à la galerie Confluence avant le 15 octobre pour découvrir le travail énigmatique de Jessica Todd Harper, et à pourquoi pas se rendre aux dernières séances du film Éternité qui complète ces questions de la place du spectateur au sein d'une intimité qui n'est pas la sienne.
Pour plus d'informations complémentaires : http://galerie-confluence.fr/expositions/


Mathilde Blieck

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