mercredi 10 décembre 2014

GO DOWN MOSES — CASTELLUCCI



04.11 — 11.11.2014

Théatre de la Ville






Un spectacle qui se divise en tableaux, dont un abstrait revient plusieurs fois : une sorte de rouleau posé à la verticale qui tourne de plus en plus vite puis de plus en plus lentement, une masse de cheveux prise dedans, la lumière presque bleutée, assez froide. Ce tableau ouvre et ferme le spectacle, parfois sert de lien entre les différentes scènes.

La représentation débute sur une première scène horriblement crue, presque trop longue, qui dérange le spectateur. Une femme dans les toilettes d'un restaurant qui perd des quantités de sang. Fausse couche ? Trente minutes s'écoulent et cette femme qui continue à patauger dans le rouge. Parfois tentant de le nettoyer, puis dans son désespoir se rasseyant dedans. Elle sanglote, semble désemparée désespérée. On frappe à la porte depuis un moment. La situation devient presque comique : même prise dans son malheur et sa détresse, elle se préoccupe de son image ; pleine de son sang elle tire la chasse d'eau, fait couler l'eau du robinet, active le sèche-main, mais ne sort pas des toilettes.

Noir

Une poubelle, un sac en plastique qui remue, les pleurs d'un enfant.

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Interrogatoire de la femme chez l'inspecteur de police. C'est un grand rectangle de lumière qui définit l'espace de la salle. La femme tient des propos incohérents, mais qui indiquent et ce sera le seul indice, le propos de la pièce. Le seul moment de parole aussi. Moïse, Moïse. Il va nous sauver. Sauver le peuple esclave. Quel peuple ? Je n'sais pas. Esclave de quoi? Non plus. Regardez ces animaux ils s'ennuient, ils s'ennuient à mourir. J'ai mis mon enfant dans le fleuve. Je voulais le sauver. Je refusais qu'il devienne esclave. L'inspecteur est d'abord pris dans la problématique de son image. Il parle de crime, tout ce qui l'importe est de sauver ce bébé. C'est sa priorité. Puis, comprenant que la femme ne dira rien, il finit par se dévoiler. Si vous vouliez bien remplir ce formulaire. Tout c’que je veux c'est rentrer chez moi.

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Un scanner au centre de la scène. Une esthétique froide, aseptisée comme celle de l'hôpital. La femme passe dans le scanner et le traverse, passe de l'autre côté, sans revenir.

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Le rouleau tourne.

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Une légère tâche de lumière que l'on distingue encore à peine et qui peu à peu évolue comme un ciel la nuit. Tout doucement la scène s'éclaire jusqu'à ce que la grotte occupe tout l'espace scénique. Un tableau à la De La Tour. Des hommes préhistoriques. La grotte des origines. Un bébé mort. On frappe sur les parois comme dans un enfermement (et oui déjà). SOS !

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Rouleau.

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Il peut paraître étrange de lire un texte sur une pièce de théâtre qui la décrit du début à la fin. Mais un texte peut-il spoiler une pièce sur l'indicible et l'irreprésentabilité. Ainsi en lisant ce texte on a rien compris à la pièce, elle a été enfermée dans des mots qui l'emprisonnent tout autant que les hommes préhistoriques, Moïse, le peuple, et le bébé sont esclaves. 
Un spectacle qui ne parle pas de Moïse.
Un spectacle de contemplation. Où l'on réfléchit par les sens, par les yeux, les émotions. Un spectacle qui ne parle pas avec des mots, qui ne parle pas au cerveau car lorsqu'on le voit, on le ressent, on ne le comprend pas.
Une composition picturale, un lâcher-prise. Accepter de ne pas comprendre tout de suite. C'est le cerveau rétinien qui est sollicité. C'est par la forme la plus juste que le spectateur sera touché.
Un spectacle qui par l'absence de discours et la splendeur de ses tableaux questionne la religion, la politique, la condition humaine.   

Comment libérer un peuple qui n'a même pas conscience d'être esclave ?



Lou Chenivesse 









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