jeudi 11 décembre 2014

'TENIR LE PAS PERDU' — CLAIRE POLLET




06.09 — 05.10.2014

Espace Short — Nantes

commissariat — Hélène Cheguillaume






L'endroit est à première vue calme, un peu en retrait, modeste mais chargé d'histoire. Je pénètre au sein de ces quatre murs de béton armés d'une froideur impressionnante. Au milieu se trouvent trois tables, installées modestement, elles présentent chacune un ouvrage composé de trois feuilles format raisin, la feuille centrale mise en mouvement par un dispositif discret composé d'un moteur et d'une carte arduino qui contrôle le mouvement et la cadence.
Le ton est donné et le superflu laissé à l'entrée.

Le travail de Claire Pollet est à l'image d'un livre : d'une simplicité, d'une modestie plastique et scénographique presque affolante tant le corps des travaux est consistant.
Épicentre de son œuvre, le livre est pour l'artiste à la fois la cause et le remède de tous. Amené au stade de relique, celui-ci semble contenir l'intégralité de l'identité de son œuvre. Comme une âme, les bouquins font partie intégrante de Claire Pollet qui s'exprime par eux, à travers eux.

Réserve fait suite à un long travail de recherche par la lecture effectué entre septembre 2009 et mai 2010, et au travers desquelles elle essaye d'approfondir la compréhension de son propre travail. L'exposition dans sa temporalité (de la genèse à la finalité) plonge l'artiste dans un état d'auto-empêchement qui la mènera à se retirer du milieu de la création pendant trois ans.

Tenir le pas perdu est donc un retour, une thérapie par la recherche là encore « Recommencer sans oublier le passé ».
Claire Pollet traite ici comme dans le reste de son œuvre de la lecture comme émancipation, libération, comme espoir. Le livre comme corpus mémoriel, dans lequel l'artiste vient piocher, cueillir, chercher de la matière première à une réflexion sur elle même.
Cette relation aux livres reste quelque chose de personnel. Ceux-ci sont le reflet d'un apprentissage, d'une évolution, d'une maturation par le mot, d'une pratique (artistique ?).
La question est telle qu'elle. La lecture peut-elle constituer à elle seule une pratique artistique ?
L'artiste nous livre une proposition de réponse en trois actes, trois tables invitant le spectateur à partager l'intimité d'une lecture.
Un premier tome, synthèse d'un archivage mécanique, systématique qui accompagne Claire dans ses lectures.
Un second se voit marqué de doutes, de questions sans réponses apposées sur le format d'un style hésitant, brouillon rappelant celui de la pensée elle même.
Les conclusions tirées de ces lectures et de ces questionnements sont réunis sur la troisième table, prenant une fois de plus la forme de la citation.

Sartre : « Longtemps j'ai pris ma plume pour une épée: à présent je connais notre impuissance. N'importe : je fais, je ferai des livres ; il en faut; cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme : il s'y projette, s'y reconnaît; seul, ce miroir critique lui offre son image. »

— ceci dit,

Pourquoi la lecture à l'écriture ?
Pourquoi cette cueillette frénétique préférée à la rédaction ?

On sent l'artiste assaillie par les mots, les phrases. On sent une addiction à l'objet, un certain abandon. On sent également une certaine impuissance face à cela, une admiration, un dévouement qui va au-delà du respect. Je ressens comme une incapacité de la part de l'artiste à se détacher du livre objet.
Cette modestie dont est empreinte l'œuvre, se retrouve également de façon assez nette; je trouve, dans la démarche.
Ecrire serait donc prétentieux.
Ecrire nécessiterait d'outrepasser cet état d'abandon au livre qui semble habiller l'artiste, le cloisonner même. Ce qui la pousse à parler à travers le mot de l'autre pour communiquer sans pour autant « …se laisser abêtir, […] se laisser bercer de mots, […] suivre le courant. »


Tenir bon
Tenir le coup
Tenir le cap
Tenir le pas perdu
Tenir le pas gagné
Sauter le pas
Outre l'écume


Il faut continuer



Adrien Cavallin 












Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire