mercredi 9 novembre 2016

Blockhaus 10 - MYKOLA RIDNYI - Perspective pour hier


Blockhaus 10
MYKOLA RIDNYI Perspective pour hier
Exposition du 17 septembre au 16 octobre 2015


J'ai trouvé l'exposition de l'artiste ukrainien Mykola Ridnyi captivante. Lors de cette exposition, nous avons en effet pu observer différentes pièces, mais ayant toutes un lien avec une certaine violence, un rapport à la guerre ainsi qu'à la société actuelle.

Tout d'abord « Blind Spot » ou cet ingénieux moyen de représenter le mécanisme d'auto-aveuglement humain en le comparant à une maladie ophtalmologique dans diverses photographies.
En effet, ici Mykola Ridnyi fait un rapprochement entre un phénomène pathologique qui rend incapable de voir pleinement ce qui se passe autour de nous et nous mène à construire une image manquante de la réalité, petit à petit absorbant toute réalité jusqu'à une obscurité totale - à l'attitude que nous adoptons au sein des sociétés modernes et qui devient un processus d'autodéfense nous aveuglant et nous persuadant d'une réalité inexacte.
Pour représenter les effets de notre auto-pathologisme il reprend des clichés provenants de rapports concernant la guerre à l'est de l'Ukraine et les obscurcit presque totalement à l'aide d'encre, moyen plastique très intéressant.

Ensuite « Shelter », vidéo tournée dans l'un des abris souterrains réquisitionnés dans le cadre d'un programme scolaire appelé « entraînement de pré-service », représente la réutilisation des abris construits lors du conflit américano-russe, et de la paranoïa collective en résultant, par des enseignants et élèves qui ne semblent pas se préoccuper de la situation politique de leur pays, mais seulement de l'importance de l'engagement militaire au sein de la patrie, illustration encore une fois d'un aveuglement benêt, ridicule, risible. On peut y voir des élèves s'entraîner à charger le plus rapidement possible une arme, des cours de tirs, des affiches d'étude de la contenance d'une balle et entendre des paroles patriotiques.

Puis « Under Suspicion », série de photographies défilant à l'aide de diapositives, représentant la suspicion et la sur-surveillance du gouvernement envers chaque citoyen, chacun devenant un potentiel suspect, en fonction des détails qui l'entourent. Pour représenter cela, il fait défiler des clichés de scènes de la vie quotidienne prises dans l'espace public, puis avec des inscriptions au stylo, il y entoure les objets et individus potentiellement suspects.

En face de cette installation était diffusée une vidéo : « Regular places ». Cette vidéo représente les fantômes de la violence qui a pu éclater dans des lieux qui semblent aujourd'hui banals, des lieux où il est aujourd'hui impossible de deviner les émeutes, les affrontements à coup de batte de baseball, les sanctions publiques, les humiliations et les exécutions qui ont pu s'y dérouler. Mykola Ridnyi y fait revivre ces fantômes, en transposant sur ces images d'une vie quotidienne banale, paisible, les sons d'affrontements, de cris, de douleurs. On peut y entendre des phrases très éloquentes comme : « Mort aux ennemis », « Putain de pédés », « Ils tabassent des gars ! Ils tabassent des gars les mecs ! », « Ils ont été attaqués, un vieillard est tombé ! », « Tue-le ce chien de russe ! », « Regarde ! Ils lui ont fracassé la tête ! », « Mon dieu quelle horreur ! », ainsi que des cris d'horreur et de peur. A côté des images paisibles, les cris et les voix de ces fantômes nous choquent.
On en vient à réaliser l’étendue de cette horreur, mais aussi à l'imaginer dans notre rue, notre place, notre environnement.


Et pour finir, la vidéo « Forteress », que j’interprète un peu comme l’apogée, le point final de l'exposition. Car tout ce que l'on nous a présenté auparavant faisait appel à notre interprétation, on nous voilait les choses pour mieux les regarder. Ici on nous lâche les images. On peut voir des hommes armés, des barricades, des groupes de défense, de grands feux, des émeutes, les énormes dégâts des lendemains, des châtiments, des humiliations, des combats,...
Toutes ces images sont commentées par des extraits, des citations de textes sur l'histoire médiévale.
Ils comparent le développement du néolibéralisme contemporain dans les pays de l'est avec celui du système des anciennes monarchies en Europe :

Les hommes qui se battent à l’extérieur du château, les bruits des affrontements, des béliers, de l'huile bouillante et les barons à l'intérieur, gros, opulents, riches, protégés par une horde de soldats et écoutant de la musique (Opposition au bruit de la guerre à l’extérieur).
Ils illustrent aussi la reprise de rites des guerres passés : tenues, noms, cris,..
Mais surtout le mouvement contre les « privilèges seigneuriaux », les privilèges des systèmes du moment en faveur des dirigeants.

Pour conclure j'ai trouvé cette exposition très enrichissante, de par ses dénonciations, mais aussi de par les moyens plastiques utilisés pour y arriver.
Mykola Ridnyi a tout à fait atteint son but de dénonciation de la propagande, la manipulation, la répression, l’oppression, les processus de gouvernance, et surtout la manière avec laquelle l'humain peut occulter une réalité. Il mélange les œuvres qui représentent symboliquement ce qu'il veut exprimer comme « Blind Spot » avec les œuvres, qui grâce a l'utilisation du style documentaire et des images de surveillance imposent une brutale réalité.
Il dénonce et demande un questionnement de nous-mêmes, de notre société.
Cet artiste m'a plu, m'a touchée et m'a aussi montré une vérité choquante.

Line Bourdoiseau

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