samedi 16 mai 2015

Colloque l'irreprésentable


Colloque l'irreprésentable, tenu à l'esba 
organisé par le musée des beaux-arts de Nantes

Participants : Alain Fleisher, Jean-Jacques Lebel, Anne Tronche, Sandra Adam-Couralet  , Joseph Cohen, Raphaël Zagury-Orly, Daniel Dobbels, et un mystérieux greffier qui, selon mon humble avis, et celui de toute la salle, devrait écrire un bouquin.

Genre : Discussion avec artistes et philosophes autour de l'irreprésentable, parallèlement à l'exposition tenue à la Hab Galerie.

 « Il n'est point d'homme qui ne veuille être despote quand il bande »
                                                                Sade.

« La torture est de plus en plus souvent sexuelle, et c'est de pire en pire, avec les nouvelles technologies »

Jean-Jacques Lebel, dans une introduction monumentalement simple, en antifasciste convaincu, nous dresse un rapide tableau de la barbarie humaine moderne.
Jean-Jacques Lebel, rappelons-le, à l'origine de l'installation Hitler et Eva Braun, cinéastes.
Car parfois, dans l'irreprésentable, la plus puissante évocation de l'horreur se trouve dans le sourire des bourreaux.

Noirs de gris
et parés d'oriflammes
ils époussettent mollement
leurs jaquettes innommables
légèreté du tyran
invincible, et Goebbels
sur la scène, la tête entre
les cimes, ils rigolent
et puis le ciel est beau
constellé de nuages
les montagnes résultent
d'un autre moyen-âge
et son regard limpide
se serre dans un étau
l'amour est là, présent
et à force de mots
tous leurs corps d'Allemandes
sont l'innocence même
d'une jeunesse démente
et l'horreur sous-jacente
va leur dire, à tes gosses
qui ne comprennent pas
dans l'horizon subsiste,
la mémoire de tes pas.







Avec Alain Fleisher
L'image comme simple image
sans cesser d’être des images
semble s'enfoncer dans l'espace de la vision
dans les artifices de Sodome
l'échappatoire souverain du comique
les aberrations de la déraison
irrésistible appel au rire
trop vite, sans doute.
Emportement jusqu'au-boutiste
qui échappe
créer l'espace et le temps de réception
dans l'horreur inestimable
des mots usés
l'horreur du lexique
les quatre murs de son cachot
impossible regardeur
outil d'exploration de l'infini
pauvreté de l'insuffisance
présentés invisibles
TROP BLANC TROP LUMINEUX


S'ensuit la parenthèse philosophique

Branlette
Branlette
Branlette intellectuelle

Pardon à Joseph Cohen et Raphaël Zagury-Orly que je crois sincères,
et qui étaient gentils comme tout.
Mais j'ai pas tout compris.


Opérations magiques
de sorcellerie
Tout artiste est récidiviste
les spectres ne parlent pas
dans les ruines
on n'entend plus que des souffles
les spectres n'ont pas d'autre langage
que le souffle
la parole, c'est de l'air
qui passe par un corps
la pari phonatoire transforme
le souffle en parole
la revenance dans une temporalité
 réversible
Elle peut revenir du présent
la solution finale est impossible
impensée
dans un secret absolu
Cet impensable est resté.

Car ce qui est pensé, c'est la technique
comme la bombe H
L'impensable, en revanche
C'est le résultat de la technique.


« Le mot le plus fréquemment utilisé, et qui retombe à chaque fois dans ces derniers faits-divers horribles, c'est le mot Kalachnikov... Comme si c'était la Kalachnikov la responsable de toute la violence de ces derniers jours...On est en train de réduire le résultat à la technique même.» Alain Fleisher, à propos des attentats de Charlie Hebdo.


Daniel Dobbels, car la danse, c'est créer, résister aux captations de l'image pour que l'apparition des corps dansants soit assez parlante pour que l'on n’ait pas envie d'effacer tout de suite ce mouvement de la mémoire
Daniel Dobbels, car notre sensibilité a une vapeur, et que l'homme a enfin son atmosphère.

«La danse est un arc tendu entre deux corps »

J'ai cru voir
un cobra
un oiseau
une statue
j'ai cru voir
de la cire
 en mouvement
j'ai cru voir
un enfant
un fœtus
un vieillard
j'ai cru voir
une poupée
un pantin
disloqué
j'ai cru voir
une armée
macchabée
et des chairs
en mouvement
j'ai cru voir
un espace
hors du temps
de l'espace
en mouvement
j'ai cru voir
un mouvement
tremblement
et un corps
et un mort
j'ai cru voir
un vivant




Suite à une Danse par Carole Quettier, de la compagnie de l'entre-deux, sur le « Stabat Mater » de Vivaldi.

Merci, Carole, pour ce moment sublime.



Anne Tronche, c'est le syndrome de la beauté, cette recherche du beau dans la douleur, mais sans Baudelaire.

L'actionnisme viennois vous libère des pulsions interdites par la culture
L'actionnisme viennois est violent
L'actionnisme viennois cherche à vous convaincre de l’utilité de cette violence
L'actionnisme viennois est le blasphème
L'actionnisme viennois mêle équarrissage et rite judéo-chrétien
L'actionnisme viennois veut exorciser dans le sang une société fasciste
L'actionnisme viennois appartient à la catégorie du dérangeant
L'actionnisme viennois vous oblige à prendre parti
L'actionnisme viennois ne connaît pas d'entre-deux.

Anne Tronche, c'est cette esthétique qui enlève aux images toute leur subversion, leur provocation, et leur pouvoir d'évocation, qui les étouffe sous l'oreiller de la beauté puisque ce qui est beau se vend bien.
Anne Tronche, c'est la révolte contre une photographie contemporaine capable de puiser dans l'intolérable les restes de la beauté du monde.
Anne Tronche, c'est dénoncer la faculté digestive et transformatrice de notre société, qui rentabilise chaque centimètre carré du monde, qui extirpe des crédits de la tourbe
et qui prend dans l'innommable les miettes dilapidées de la dignité humaine pour finir par les sacrifier sur l'autel de la consommation.
Anne Tronche, c'est finir par dire « Il fut un temps ou l'intolérable des images formait l'effort de conscience et la légitimité de la révolte ».

Puis, le greffier annonce une conclusion judéo-chrétienne

Altéré par des convictions morales
interdictions et impuissances
prendre en charge un croisement
il souffre en lui même
ce que le monde contemporain
offre en horreur
l'image des dieux grecs
statues et images
impuissantes
à nous faire plier les genoux
représenter cet état de grâce
l'orthographe est flottante
mais elle produit des variantes
pointe de sublime
et copies falsifiées
dans un paradigme du silence
le visage de la sagesse
car le cinéma échoue
codifie la représentation
qu'une copie
et son acceptation valable
la mimesis à terme
ce qu'elle ne peut pas
œuvrer
Elle a le pouvoir de représenter la nature
qui est conscience artistique
elle nous apprend à voir
elle nous rend supportable à la vue
ce que dans la réalité
il nous est insupportable de voir
l'immensité dans la figure
le séduire dans l'esclavage
la longueur dans la brièveté
la gloire dans la confusion
la dualité humaine
évidemment de la représentation
c'est en l'homme qu'est le monde sensible
et intelligible
la voie de passage est en nous même
elle est l'équivalent du ciel étoilé
au-dessus de moi
la pensée, l'art et l'emprise sur le réel
s'éloigner pour mieux y revenir
si l'art s'absente du monde
c'est pour mieux y revenir
L'art contemporain ne peut
faire le deuil de sa radicalité
l'humanité du Christ
n'a rien d'exceptionnel
mais le fait qu'il puisse
être sujet à la torture
à la souffrance et à la mort
l'est.
La danse magnifiée
tient tous ces corps
qui n'est pas crucifixion
mon corps ne perçoit pas
mais il est construit par une perception
qui s'exprime à travers lui
Les harmonies émouvantes
sont une esquisse sommaire
une impossibilité de s'arrêter
à quelque consolation que ce soit
Quelque chose de plus
Mais l'irreprésentable
est seul
il est le défaut ou l'excès de représentation
entre sensible et intelligible
peut être y a t il dans ce tableau
la définition de ce qui est nôtre
des gestes qui la font naître
mais un vide est présent de toutes parts
la représentation appelle quelque chose
est le parangon de l'irreprésentable
celles-ci ne sont pas dans la nature
mais n'habitent pas un autre monde
que le nôtre


Celui que je pris pour le greffier s'est avéré être Jean Claude Conesa, l'organisateur même du colloque, et si j'avais su que les notes prises par ce personnage discret et effacé (c'est ainsi qu'il m'a paru) allaient servir à composer cette conclusion magistrale qui nous a tous ravis, tant dans sa longueur inattendue que dans son extrême richesse, je me serais abstenu de nommer « greffier » cet homme doué d'un remarquable talent pour la synthèse , et ce dans un mélange de puissance verbale et d'extrême modestie. Merci à lui.



ROY Martin

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