mardi 27 novembre 2018

PERSONA GRATA


MAC VAL ET Musée national de l’histoire de l’immigration, Paris
Du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019

L’ambitieuse double-exposition Persona Grata interroge la notion d'hospitalité, actuelle et omniprésente dans le discours français, soulevée par la question migratoire et les insatisfaisantes réponses socio-politiques. Dans un moment où le poids de ces enjeux dans le débat public est grandissant, il est fondamental que la discussion prenne corps dans des lieux de culture, d’histoire, du sensible, ceci étant souligné par la cohérence du choix d’intégrer au parcours à la fois un musée de société (le musée de l’histoire de l’immigration) et un musée d'art contemporain (le Mac Val). Ce dernier avait déjà l’an passé, avec l’exposition Tous de sang mêlé, ouvert la discussion autour de problématiques proches appuyant en cela l’investissement de l’art et de ses institutions dans la réflexion de société et dans la création d’espaces d’incarnation de pensées en formes. Il est intéressant de questionner le rôle de l’artiste et sa responsabilité mais également le dispositif d'exposition comme un espace de collaboration, un laboratoire à réfléchir des problématiques fondamentales en les reformulant. Il peut être un espace de reconfiguration des relations entre individus permettant une conscientisation, une considération par des biais sensibles. Ici, le dialogue est ouvert par Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc, philosophes et sous le commissariat d’Anne-Laure Flacelière, chargée de l’étude et du développement de la collection du MAC VAL et Isabelle Renard, chef du service des collections et des expositions du Musée national de l’histoire de l’immigration.

L'exposition n'est pas pensée d'une seule voix et ne présente pas d'utopie, mais des réalités où les acteurs qui la constituent, sont présents. Il s’agit de remettre l'humain au centre, là où actuellement la politique nous parle de flux et de crise, ici il est question de visages, de parcours de vies, d’êtres. Il n’est pas question de s'arrêter à la seule réflexion de cette notion d'hospitalité mais de sensibiliser par une construction sensible de ce qu’elle représente et aux concepts et notions dont elle relève : l’accueil, l’exil, le territoire, la culture, l'identité du territoire, la frontière, le déplacement, le déracinement etc. Elle invite à dépasser la simple visite, à réfléchir concrètement et à investir le visiteur d'une véritable posture critique. On peut se demander si la pédagogie de ce type de manifestation peut être un agir social mais ne serait-ce que le fait d'en discuter, de rendre visible ces problématiques, c'est nier l'invisibilité de ceux qui subissent les dérives politiques. C’est questionner l'éthique par le sensible. L’exposition peut être appréhendée comme un dispositif qui permet de donner lieu et place à la sensibilisation nécessaire à la mobilisation en la nourrissant émotionnellement. Le problème qui serait à soulever serait la juste voix (militante?) accordée à ces causes portées par les artistes et non seulement par les choix des commissaires. En effet l’exposition a été construite non pas par des réponses immédiates des artistes mais par un choix d’œuvres qui s’est fait par prélèvements dans les collections. C’est le discours théorique de l’exposition qui a pris les œuvres en son sein pour penser et s’incarner dans les formes. Il ne s'agit pas seulement de réfléchir aux notions soulevées par chaque œuvre (par exemple celle de Sarkis et la notion de voyage, d’arrivée de départ ou celle de Philippe Cognée et de l’habitat précaire, du territoire), notions qui sont des prolongements critiques des questions socio-politiques soulevées. Il s’agit d’une cause militante, le positionnement des deux institutions est clair et on peut se demander en quoi il est juste de faire dire aux œuvres ce qu’on leur demande. La commissaire de l’exposition explique que, consciente de cette problématique, elle a demandé aux artistes s’ils étaient en accord avec le discours tenu et si le discours ne travestissait pas celui de l’œuvre. Que l’œuvre soit un support de médiation est une chose mais qu’elle prenne voix à un discours engagé alors que l’acteur ne l’est pas nécessairement peut s'avérer problématique. Bien que ça ne soit pas le cas d’une grande partie des objets exposés, ceci engage à réfléchir sur les discours curatoriaux et à la liberté des commissaires et à la façon dont les objets sont engagés dans les théories dont ils ne doivent être ni prétextes ni illustrations. La finesse de l’exposition tiendra aussi en cela car l’idée de l’illustration est évacuée par la mobilisation des concepts au-delà du simple fait d'évoquer l'hospitalité. Il est question de formes poétiques, sensibles, métaphoriques, imaginaires faisant par cela appel au sens large des questions politiques portées en fil conducteur. Le territoire, le départ, l’arrivée, l'étranger, le voyage, le rêve, et son prix, le désir et sa réalité, la fuite, l’exil, l’abri en ce qu’il évoque l'intérieur etc. C’est dans l’appréhension de questions concernant chacun que l’exposition réussit autant à intéresser de manière éthique autant que sensible.

Quoi qu’il en soit l’exposition est encourageante ainsi que le type de propositions plus que nécessaires dans le climat actuel. Elle offre à voir une belle diversité de formes qui permet l'exploration de formes de vie, de conscience, d’espoir et non seulement un message strict. Loin d'être dogmatique ou moralisatrice, elle laisse la possibilité d’un positionnement critique et émotionnel riche. Les thématiques de société et les enjeux contemporains ont réellement besoin de trouver des espaces de discussions engagés et soulevés par des biais sensibles telle que cette double exposition nous le propose aujourd'hui. En espérant que cela ne s'arrête pas là.

Anna de Castro

Du 16 Octobre 2018 au 20 Janvier 2019 au Musée de l’Histoire de l’immigration à Paris.
Avec les oeuvres de Bertille Bak, Dominique Blais, Alina Bliumis, Jeff Bliumis, Halida Boughriet, Kyungwoo Chun, Philippe Cognée, Pascale Consigny, Hamid Debarrah, Latifa Echakhch, Eléonore False, Claire Fontaine, Laura Henno, Pierre Huyghe, Bertrand Lamarche, Xie Lei, Lahouari Mohammed Bakir, Moataz Nasr, Eva Nielsen, Gina Pane, Laure Prouvost, Enrique Ramirez, Judit Reigl, Anri Sala, Sarkis, Zineb Sedira, Bruno Serralongue, Chiharu Shiota, Société Réaliste, Dan Stockholm, Barthélémy Toguo.

Du 16 Octobre 2018 au 24 Février 2019 au Mac Val à Vitry-sur-Seine .
Avec les œuvres de Eduardo Arroyo, Kader Attia, Renaud Auguste-Dormeuil, Marcos Avila Forero, Laëtitia Badaut Haussmann, Bertille Bak, Richard Baquié, Taysir Batniji, Ben, Bruno Boudjelal, David Brognon & Stéphanie Rollin, Mark Brusse, Pierre Buraglio, Mircea Cantor, Étienne Chambaud, Kyungwoo Chun, Clément Cogitore, Philippe Cognée, Delphine Coindet, Matali Crasset, Julien Discrit, Thierry Fontaine, Jochen Gerz, Ghazel, Marie-Ange Guilleminot, Mona Hatoum, Éric Hattan, Laura Henno, Pierre Huyghe, Emily Jacir, Yeondoo Jung, Bouchra Khalili, Kimsooja, Claude Lévêque, M/M, Lahouari Mohammed Bakir, Jean-Christophe Norman, Lucy Orta, Bernard Pagès, Philippe Parreno, Yan Pei-Ming, Cécile Paris, Mathieu Pernot, Jacqueline Salmon, Bruno Serralongue, Esther Shalev-Gerz, Société Réaliste, Djamel Tatah, Barthélémy Toguo, Patrick Tosani, Sabine Weiss.


1. Bouchra Khalili, The Constellations n°2, 2011. Sérigraphie sur papier contrecollée sur aluminium, 65 x 45 cm. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte Dorée, Paris. Photo © Lorenzo. © Adagp, Paris 2018.



2. Sarkis, Le Bateau Kriegsschatz ,1982-2005, Panneaux de bois contreplaqué peints au goudron, ampoules peintes, maquette debateau,700x510x70cm Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France © ADAGP, Paris, 2018. Photo © Jacques Faujour.


3. Marcos Avila Forero, Cayuco, Sillage Oujda/Melilla - Un bateau disparaît en dessinant une carte, 2012. capture de la vidéo HD, couleur, son, 55’. Collection Frac Aquitaine. © Adagp, Paris 2018.


4. Mona Hatoum, Suspendu, 2009 - 2010. Médium stratifié, chaînes en acier, dimensions variables. Collection MAC VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France. Photo © Jacques Faujour.



5. Moataz Nasr, Dôme, 2011, Bois, cristal, vidéoprojection, leds 260x565x565cm, Production Établissement public du Palais de la Porte Dorée, Musée national de l’histoire de l’immigration. Courtesy de l’artiste et GALLERIA CONTINUA, Gimignano/Pékin/Le Moulin de Boissy/ La Havane. Photo © Ela Bialkowska.



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